Les législatives françaises de 2017 : Pourquoi la participation était-elle si faible et comment peut-on y remédier?

Par Filip Kostelka (cordinateur du projet Making Electoral Democracy Work)

Note: Version en anglais se trouve ici. / English version is here
Ce texte est une tribune publiée sur le site du journal Le Monde. 

 

Le fort taux d’abstention constitue le résultat le plus frappant du premier tour des élections législatives de dimanche dernier. La participation de 48,7 %, en déclin de 8,8 points par rapport à 2012, est la plus faible dans l’histoire des scrutins législatifs depuis 1945. L’une des causes principales est sans doute la mutation du système partisan: l’effondrement des partis du centre gauche et du centre droit, la décrédibilisation du l’extrême droite lors du dernier débat présidentiel, ainsi que le profil centriste et peu mobilisateur du vainqueur présumé de LREM.

Néanmoins, un autre facteur explicatif important est la fréquence record des élections. Le vote du dimanche a été le troisième en 2017 après les deux tours des élections présidentielles. Plus généralement, pendant les trois dernières années, certains des électeurs français ont pu voter – en fonction de la compétition partisane dans leurs circonscriptions – à 9 occasions : aux élections municipales de 2014 (deux tours), aux élections européennes de 2014 (un tour), aux élections départementales de 2015 (deux tours), aux élections régionales de 2015 (deux tours), et aux élections présidentielles de 2017 (deux tours). De surcroît, les Français ont également pu participer aux deux tours de chacune des élections primaires tenues avant les présidentielles par les Républicains, EELV et le Parti socialiste, entre novembre 2016 et janvier 2017.

Cette multiplication des scrutins est sans précédent dans l’histoire électorale française. Encore dans les années 1970, les citoyens étaient incomparablement moins sollicités. A titre d’exemple, pendant les trois années qui ont précédé l’élection législative de 1978, les Français sont allés voter au maximum quatre fois. Une moitié des électeurs a pu participer aux élections cantonales de 1976 (deux tours) et l’ensemble de l’électorat a été invité à renouveler les conseils municipaux en 1977 (deux tours).

Graphique 1 Les taux de participation au premier tour des élections législatives depuis 1958

En effet, la fréquence des élections s’est considérablement accrue depuis les années 1970. Cet accroissement provient d’une série de réformes institutionnelles : l’adoption des élections directes au Parlement européen (1979), la décentralisation et l’introduction des élections régionales (1986), et l’instauration du quinquennat présidentiel (2002). De plus, les réformes territoriales de 2010 et 2013 ont temporairement réduit la durée du mandat des élus régionaux et cantonaux de 6 à 5 et 4 ans respectivement. Enfin, il y a les primaires organisées de façon ouverte par le PS et l’EELV depuis 2012 et par les Républicains depuis 2017. Cette forte hausse de la fréquence électorale s’est accompagnée d’un déclin progressif de la participation électorale aux scrutins législatifs. Ayant commencé au début des années 1980, ce déclin a atteint un record dimanche (voir le Graphique 1).

Les études en science politique suggèrent qu’une fréquence élevée des élections réduit la participation en affectant à la fois les attitudes des citoyens et les capacités de mobilisation des partis politiques. Dans mes recherches, j’ai confirmé cet effet négatif de la fréquence des élections sur la participation électorale dans deux contextes différents : les démocraties postcommunistes en Europe centrale et orientale et deux démocraties fédérales en Europe occidentale (le Canada et l’Allemagne). Plus d’élections équivaut à moins de participation dans chacune de ces élections, et, en particulier, dans les élections de moindre importance.

Pour réduire l’abstention électorale, la France devrait s’inspirer de pays qui connaissent des taux de participation plus élevés. Le meilleur exemple en est la Suède, qui est l’une des rares des démocraties occidentales où la participation électorale n’a pas diminué pendant au cours des derniers vingt années. Les suédois ne votent habituellement que deux fois tous les quatre ans car toutes les élections, sauf celles au Parlement européen, se tiennent simultanément. Il est vrai que la tenue simultanée des élections de différents types comporte le risque d’une « contamination ».

Par ce terme, les politistes désignent l’impact des enjeux politiques dans une arène électorale (par ex. législative) sur les résultats électoraux dans une autre arène (par ex. régionale). Cependant, la participation électorale en dessous des 50 % aux élections législatives est vraisemblablement bien pire que tout risque potentiel de contamination.

En combinant différents types d’élections, il est possible d’obtenir un nombre optimal d’échéances électorales qui maximise la participation sans exacerber les risques de contamination. Dans le contexte français, il serait logique de tenir simultanément les présidentielles et législatives d’un côté, et les différents scrutins locaux (élections régionales, départementales, et municipales) de l’autre. Cela ne ferait pas augmenter la participation seulement grâce à une fréquence des élections plus raisonnable mais aussi parce que les scrutins jugés moins importants (par ex. les législatives) bénéficieraient du caractère mobilisateur des scrutins jugés plus importants (par ex. les présidentielles).

 


Filip Kostelka a soutenu à Sciences Po, Paris une thèse intitulée «Mobiliser et démobiliser: le déclin énigmatique de la participation électorale dans les démocraties postcommunistes». Il est actuellement chercheur postdoctoral à la Chaire de recherche en études électorale de l’Université de Montréal et chercheur associé au Centre d’études européennes, Sciences Po, Paris.

 

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